Au procès des salariés grévistes de RTE, « la criminalisation du droit de grève » est dénoncée

Quatre employés du gestionnaire du réseau français d’électricité ont été licenciés suite à des actes qui relèvent de la cybercriminalité, selon l’entreprise. En amont de leur procès, qui s’est tenu le 28 février, un rassemblement de soutien aux prévenus a été organisé par la CGT. Le syndicat et les avocats de la défense accusent une répression de l’action syndicale.

Plus d’une centaine de militants CGT de RTE, d’EDF et d’Enedis étaient présents pour soutenir les prévenus. ©Malik Habchi

Ce mardi 28 février, à midi, une centaine de personnes sont rassemblées sur le parvis du tribunal de Paris. Des drapeaux et banderoles de la CGT flottent sur la place, maintenus haut par des militants qui viennent du Nord, de la Normandie, et même de la Corse. Ils sont là en soutien à quatre ex-salariés de RTE (Réseau de Transport d’Electricité), licenciés en décembre et accusés d’ « entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données », « modification » du dit système et « introduction frauduleuse de données ». 

« Une réaction disproportionnée »

« C’est le gouvernement et le directoire de RTE qui travaillent ensemble pour réprimer les grévistes », affirme Jean-Louis Maury, un délégué syndical central CGT de RTE. Au rassemblement, sont notamment présents Thomas Portes, député LFI-NUPES et Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Ce dernier dénonce « la criminalisation du droit de grève » et reproche à RTE d’avoir traité les prévenus « comme des terroristes ». A l’intérieur du tribunal, plusieurs policiers montent la garde devant la salle d’audience. Parmi les personnes qui attendent d’entrer, se trouve Dominique Santoni, déléguée syndicale centrale CFDT de l’entreprise, également venue soutenir l’un des prévenus, militant CFDT. « La réaction de la direction de RTE est totalement disproportionnée », s’insurge la syndicaliste. 

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, est venu au rassemblement soutenir les prévenus et demander leur relaxe. ©Malik Habchi

Le 28 juin et le 22 juillet 2022, les quatre prévenus, qui reconnaissent les faits, ont programmé l’arrêt simultané et différé de la téléconduite d’une dizaine de postes électriques dans le Nord, entraînant une « perte d’observabilité de manoeuvrabilité » sur ces postes. Selon RTE, cette perte aurait pu causer des coupures électriques et même « l’effondrement du système électrique de la région des Hauts-de-France ». Ces risques ont conduit la direction de la filiale d’EDF à saisir la DGSI, qui a interpellé les prévenus, les a mis en garde à vue pendant 96h et les a mis sous écoute et sous contrôle judiciaire. 

« Nullité » de la procédure

L’audience débute. La défense, représentée par maître Jérôme Karsenti, mandaté par la CFDT, argue la « nullité » juridique de la procédure pénale à l’encontre des prévenus. « La question qui est posée, c’est celle de l’impartialité de l’enquête, plaide Me Karsenti face au président, sa voix allant crescendo. Est-ce que vous êtes l’arbitre d’un conflit social ? ». Pendant près d’une heure, l’avocat déroule son argumentaire, dénonçant une « procédure amorcée par RTE et suivie à la traîne par le parquet », et la « répression réelle de la fraternité », faisant référence à l’interdiction des quatre prévenus à se rencontrer durant le contrôle judiciaire.

Jean-Michel Baloup, l’un des avocats de RTE, prend la parole. « Oui, la direction de RTE a passé un coup de téléphone à un service de sécurité spécialisé, où est le problème ? », questionne l’avocat. Du côté des prévenus, Me Karsenti lâche un sourire en coin. « La saisie de la procédure a été faite par le parquet, il n’y a aucune violation des règles de droit », termine Me Baloup. Sophie Gschwind, substitut du procureur, confirme, déclarant que le dossier judiciaire vise au départ l’hypothèse de « sabotage informatique ». Une « hypothèse haute de travail », justifiée par le statut d’ « opérateur d’importance vitale » de RTE et le contexte de sobriété énergétique.

Pendant que les juges délibèrent sur la notion de nullité, Me Karsenti échange rigolades et tapes dans le dos avec les avocats de la partie civile. Un brouhaha se fait entendre dans la pièce, une cinquantaine de militants et de proches des prévenus étant présents. Un bruit qui s’évanouit au retour des juges dans la salle. « Il faut rentrer dans le fond du débat pour déterminer si les faits sont graves ou pas », estime le président, refusant de fait la requête de la défense.

Action symbolique ou acte de malveillance ?

Durant le reste du procès, qui dure près de neuf heures, la défense avance la thèse de l’action syndicale symbolique. « C’est un mode d’action ancré dans les IEG {Industries électriques et gazières, ndlr} », indique l’un des prévenus. Appelé à la barre, Francis Casanova, délégué syndical central CGT de RTE, témoigne d’un « climat social tendu » entre février et juin 2022, période durant laquelle des salariés de l’entreprise étaient en grève pour obtenir une augmentation. « Ils ont laissé pourrir le conflit social », dénonce le militant, qualifiant la direction du gestionnaire du réseau électrique d’ « irresponsable ». Pour Me Jérôme Borzakian, un autre avocat de la défense, faire appel à la DGSI « n’avait aucune autre fonction que de décourager le mouvement social ».

Toutefois, Me Baudouin de Moucheron, avocat de la partie civile, réfute la thèse de l’action symbolique, et appuie celle de l’acte de malveillance. « En quoi cette action cachée pouvait peser sur les négociations salariales ? Pourquoi ne pas avoir assumé et revendiqué cet acte ? Pourquoi avoir voulu le garder secret ? », assène l’avocat.  Selon la DGSI, les militants ont préparé leur action sur l’application de messagerie privée Signal, et ont supprimé l’application de leur téléphone peu de temps avant leur interpellation. 

A la fin du procès, Sophie Gschwind, substitut du procureur, déroule son réquisitoire. « Il ne nous appartient pas à nous, magistrats, de juger le droit de grève. Le débat d’aujourd’hui n’est pas celui de la criminalisation syndicale », déclare-t-elle. Elle reconnaît « l’exemplarité des prévenus vis-à-vis de la justice » et qu’ils étaient de « bons employés ». La procureure affirme néanmoins que ce sont des actes de malveillance. « Vous jugez aujourd’hui des actes, pas des hommes, ni des militants syndicaux », conclut-elle, avant de demander huit mois de prison avec sursis (six mois pour l’un des quatre) et 7 000 euros d’amende. Les prévenus devront patienter avant d’avoir le fin mot de l’histoire, le jugement ayant été mis en délibéré au 28 mars.

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